AXES DE RÉFLEXIONS

Garantir la sécurité économique de toutes et tous

Nous défendons la garantie d’un socle de revenu, versé de façon inconditionnelle, à l’ensemble des parties intégrantes d’une société pour assurer à chacun·e une sécurité économique, la considérant comme un véritable droit humain. Ce nouveau droit social ne devrait être refusé à quiconque, qu’importe ses choix de vie. Le principe est donc de donner la possibilité à chaque personne de vivre dignement tout en impliquant la contribution de chacun·e à cet effort collectif en fonction de ses moyens. 

C’est par la libération de temps de vie qu’il sera alors possible de renouer avec un certain imaginaire révolutionnaire porté par Thomas Paine qui s’exprimait en 1792, à l’Assemblée Nationale en disant : « Sans revenu, point de citoyen, il faut être économiquement libre pour exprimer sa citoyenneté ». Le droit au revenu permettrait donc aux citoyen·nes de s’autogouverner dans une société réellement démocratique.

Repenser le rapport au travail et à l’emploi

La société contemporaine a été construite sur un rapport à l’emploi très fort. Or, l’emploi constitue un rapport de force de l’employeur sur l’employé que consacre le lien de subordination du contrat de travail. Pourtant, depuis plus de 30 ans, le nombre d’offres d’emplois reste toujours inférieur au nombre de demandes d’emplois. En allégeant les salarié·es d’une subordination extrême dans l’emploi, la valeur et les images associées au travail pourront évoluer. Avec un véritable droit au revenu garantissant une autonomie réelle, la reconnaissance sociale ne serait plus nécessairement aussi fortement associée à l’emploi exercé et la valorisation des activités serait moins dépendante des règles imposées par un marché dérégulé, moteur d’une illusoire croissance infinie dans un monde fini. Les écoles seraient libérées de la logique compétitive visant à intégrer rapidement et efficacement les élèves sur le marché du travail. Il serait également possible – et souhaitable – de mieux valoriser le travail gratuit et par conséquent invisible, tout comme d’exercer plus librement sa créativité.

Nous aspirons tout autant à questionner la valorisation des emplois par une véritable prise en compte de leur utilité sociale. Aujourd’hui, comme l’a mis en exergue le contexte de crise, les métiers les plus essentiels sont aussi les plus mal rémunérés (métiers du care, du soin aux autres, de l’aide à domicile, de l’assistance sociale, par ailleurs à forte prédominance féminine). Parmi les faiblesses flagrantes du système, figurent également les bullshit jobs, emplois créés dans une logique alliant le dogme du tout emploi à l’occupation des personnes jugées “inactives”, et considérés par les mêmes personnes qui les occupent comme inutiles pour elles comme pour la société de façon plus générale.

Changer le rapport à la consommation et lutter contre le changement climatique

Nous sommes convaincu·es qu’un droit au revenu renforce nos libertés et favorise une autonomie citoyenne propice à la construction d’un nouvel imaginaire social, car sa mise en place s’accompagnera parallèlement d’un changement de rapport au travail et par conséquent à la croissance économique. 

Le changement climatique et la dégradation des écosystèmes ne permettent plus aujourd’hui de fonder notre imaginaire collectif sur un idéal matérialiste de consommation infinie, imitant « l’american way of life ». Ainsi, le droit au revenu doit être pensé comme un élément pivot, un levier pour transformer le rapport au travail, libérer du temps pour exprimer sa citoyenneté et faire évoluer notre rapport à la consommation et à l’abondance. En ouvrant de nouvelles voies politiques et alternatives à la croissance, il devient alors un moyen de favoriser l’engagement citoyen dans la lutte contre le changement climatique et de dépasser l’imaginaire dominant de prédation humaine sur la nature.

Redonner du poids aux luttes féministes

La question du droit au revenu a toujours été centrale dans les combats féministes. Ainsi, certaines féministes de la seconde vague ont, dans les années 1970, développé le mouvement du “salaire au travail ménager”. Il s’agissait avant tout d’une façon de politiser les enjeux du travail domestique, effectué par les femmes au sein du foyer, de façon gratuite, invisible et donc fortement dévalorisée. 

S’en sont suivi plus récemment des débats sur l’idée d’un revenu de base, qui rencontre aujourd’hui des opinions divisées. D’une part, les féministes – pour la plupart universalistes – y voyant un risque de retour de la femme au foyer, libérée de la contrainte économique et de la nécessité de travailler. D’autre part, les féministes intersectionnelles et plus particulièrement les afro-féministes, pointent les enjeux de classe sociale et de race derrière cet argument. En effet, les femmes racisées ont toujours été obligées de travailler, mais l’emploi était davantage un espace d’oppression raciste et sexiste, alors même que le foyer était perçu comme un refuge.

Sortir du chantage à la survie

Avec une garantie de revenu suffisante, il serait possible d’équilibrer, voire d’inverser le rapport de force, dans une grande diversité de domaines. Dans l’emploi, renforçant le pouvoir de négociation des salarié·e·s. Dans la famille, permettant de quitter un·e conjoint·e – parfois violent·e – si seule la contrainte économique nous interdit de le faire. En politique, par la construction d’une société du temps libéré, un temps disponible pour s’informer, construire une véritable démocratie. Sur chacun de ces rapports à la société, la marge de manoeuvre des personnes est décisive, qu’elle consiste en l’assurance de conditions de vie décentes ou bien du temps libéré dont chacun·e dispose. Ainsi, libérer le temps personnel et accorder à chacun·e des conditions de vie décente sont autant d’objectifs au service d’une société épanouie sur le plan démocratique comme sur le plan de la créativité.

NOS SOURCES D’INSPIRATION

Plusieurs penseurs·euses des siècles précédents, sociologues, philosophes, militant·es, économistes, ont tracé les premiers sillons d’une réflexion multidisciplinaire sur la question du droit au revenu, de l’émancipation et de l’autonomie individuelle et collective. Leurs ouvrages et leurs engagements représentent pour nous des inspirations qu’il convient de mobiliser pour construire les alternatives présentes et futures. En voici une sélection, non exhaustive, qui a vocation à nous outiller. 

Ainsi, des travaux tels que ceux de Cornelius Castoriadis, d’André Gorz ou d’Ivan Illich nous semblent fondamentaux dans les réflexions sur la construction de projets de société portant sur l’autonomie individuelle et collective et le temps libéré. 

De même, différents courants de pensée anarchistes – souvent caricaturés – constituent pourtant de véritables sources d’inspiration pour quiconque s’intéresse à des projets de société favorisant l’autonomie, l’entraide et la coopération. Cette radicalité assumée par différent·es penseur·ses anarchistes nous semble traduire les enjeux au seins desquels il serait important qu’un véritable droit au revenu puisse voir le jour. C’est notamment le cas des travaux sur l’entraide de Pierre Kropotkine, sur la liberté de Mikhaïl Bakounine, sur la propriété de Pierre-Joseph Proudhon, sur la gestion du pouvoir par Emma Goldman, ou encore sur le féminisme par Louise Michel, parmi bien d’autres, …

Nous nous inspirons également des réflexions de Thomas Paine portant sur la propriété privée, notamment dans son ouvrage Justice Agraire, mais également des travaux de Karl Marx, notamment pour ses réflexions sur le travail et les problématiques de subordination, d’exploitation qu’il implique, encore aujourd’hui.

Dans la continuité, plusieurs penseurs·euses contemporain·es dont les travaux portent sur l’évolution du travail, la justice sociale, les luttes intersectionnelles ou encore l’écologie politique, nous livrent des clés de lecture que nous proposons de mettre en débat au sein de notre collectif pour le Droit au Revenu.

Les réflexions sur le pouvoir de penseur·euses tel·les que Noam Chomsky ouvrent des sentiers de réflexions intéressants, de même que celles de Silvia Federici sur le capitalisme patriarcal. Les travaux de féministes intersectionnelles telles qu’Angela Davis ou bell hooks sont également pour nous importants afin de mieux comprendre la complexité des rapports de domination.

La problématique du travail, de ses mutations et des problématiques qu’il pose dans sa forme actuelle se retrouve également de façon intéressante dans les réflexions de Dominique Méda, Thomas Coutrot , ou encore des réflexions David Graeber portant sur les bullshit jobs, entre autres.

Enfin, et au coeur des enjeux du droit au revenu, nous nous inspirons notamment des travaux de Baptiste Mylondo et de Vincent Liegey (), qui pensent la question du revenu inconditionnel d’autonomie à travers des projets politiques de sortie du système capitaliste actuel.