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Ce 18 février l’Assemblée nationale examine la proposition de loi visant à créer une aide individuelle à l’émancipation (solidaire) déposée par les députés socialistes et apparentés. En vue des débats, le collectif pour un Droit au Revenu a été auditionné fin janvier par le rapporteur du texte, le député Hervé Saulignac : l’occasion de présenter notre regard en faveur d’un droit à un revenu décent et à un travail digne.

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Le texte qui sera présenté aux député·es se décompose en trois parties. La première débute par ce que les auteur·es appellent un “revenu de base”, la deuxième porte sur une dotation à la majorité et la dernière propose un financement via une réforme des droits de succession. Nous attarderons ici en particulier sur la première partie de la proposition de loi avant d’aborder les deux suivantes.

Le pan “revenu de base” de la réforme

Oublier l’inutile étape de l’expérimentation

Lors de l’audition, nous avons tenu à saluer les avancées significatives que comprend ce texte. La première fut le fait d’aborder l’angle d’une réforme des minima sociaux dans l’intérêt des bénéficiaires via une mise en œuvre directe, sans en passer par la case “expérimentation”. Cela constitue, en effet, en soi une avancée par rapport à la proposition de loi (n°1541, décembre 2018) qui prévoyait l’expérimentation d’un dispositif similaire dans des départements.

En effet, la pertinence scientifique des expérimentations n’est à ce jour pas avérée en raison de l’impossibilité de tester un dispositif de revenu de base dans les conditions identiques de sa généralisation (totalité de la population atteinte sur site de saturation, pérennité de la mesure).

L’intérêt politique reste quant à lui à démontrer lorsqu’on constate qu’à travers le monde, aucune expérimentation n’a à ce jour débouché sur une généralisation d’un revenu de base. Bien au contraire, l’exemple de la Finlande a démontré que cela pouvait servir de prétexte pour enterrer l’idée. 

Prendre le nécessaire virage de l’inconditionnalité du revenu minimum garanti

Dans le texte, on retrouve également le caractère inconditionnel correspondant à celui que nous défendons au sein du collectif pour un revenu minimum garanti. Celui-ci est également défendu dans le rapport “Sans contreparties – Pour un revenu minimum garanti” produit par les associations Aequitaz et Secours catholique, et soutenu par notre collectif (1). 

D’une part, il permet de dissocier la politique de minima sociaux de celle d’accompagnement, ainsi que de supprimer la menace de perdre la seule source de revenu du jour au lendemain. D’autre part, il prend acte de l’avis du CNCDH en vue de la création d’un revenu universel d’activité (RUA) qui rappelait en juin 2020 que “l’accès aux prestations sociales ne doit pas être conditionné à la réalisation de “devoirs” ” et préconisait en conséquence au gouvernement de revoir sa copie.

Avancer sur ce qui ne devrait même plus faire débat

Nous avons également salué la volonté d’intégrer les jeunes de 18 à 25 ans dans le droit commun concernant l’accès au minimum social. Cela fait aussi partie des réponses sociales à mettre en place en priorité pour améliorer la protection de ces publics. Alors même que cette demande est de plus en plus présente parmi les revendications des acteurs de lutte contre la pauvreté, la première partie de ce texte y répond.

Le versement automatique représente quant à lui un moyen efficace pour lutter contre le non-recours.

Quelques insuffisances : un montant pauvre…

Le premier bémol que nous remarquons est que le montant de 565 €  représente un statu quo avec celui du RSA actuel. Or, l’exposé des motifs de la proposition de loi prochainement examinée par l’Assemblée nationale précise que “seule une sortie de la pauvreté permet aux personnes de considérer le temps long et de réinvestir pour elles‑mêmes l’avenir comme un terrain de projet personnel et professionnel.” Le montant proposé, trop faible comme le pointent les acteurs sociaux depuis de nombreuses années, ne permet donc pas une sortie de la pauvreté, même statistique. Si le montant n’est guère du ressort de la loi mais davantage du règlement, il reste cependant que les auteur·es du texte ne précisent pas d’intention allant dans le sens d’une augmentation de ce montant.

… et une continuité de la logique de calcul sur la base du foyer

La proposition “Aile(s)” est calculée en fonction des ménages, maintenant ainsi les enjeux de dépendances familiales et conjugales. Ce versement sur la base d’un ménage pose de nombreux problèmes, notamment en matière d’autonomie économique du membre ayant le plus faible revenu – en grande majorité les femmes – mais également dans la répartition de l’aide au sein du foyer, ou encore par rapport à l’impact du départ du foyer d’une personne, qui peut être dissuasif en vue de l’émancipation des jeunes.

La dotation à la majorité

La proposition d’une compensation des inégalités de capital par une dotation de 5 000 € soulève quelques questions… 

Dans quelle mesure cette dotation permet-elle de résorber efficacement les inégalités, notamment en ce qu’il s’agit d’une somme de 5 000 € à destination de jeunes aux situations sociales et économiques totalement différentes ? 

Si l’objectif est de développer l’entrepreneuriat, par cette dotation de 5 000 €, ce montant le permet-il réellement ? Par ailleurs, cela ne risque-t-il pas de développer un modèle économique généralisant l’entreprenariat des jeunes, dont le travail ubérisé témoigne déjà qu’il favorise le développement du précariat ? Dans les faits, combien faut-il pour monter une entreprise, ou pour se former ? 

D’autre part, les conditions d’accès à cette dotation constituent des risques importants de complexité administrative, pouvant aboutir à un taux de non-recours particulièrement prégnant chez les plus défavorisés. Ces risques seront accentués, selon nous, par des conditions restreintes de dépenses de la dotation. 

Dans l’attente de réponses convaincantes à ces questionnements, il apparaît préférable de proposer une garantie de revenu régulier et sans condition. Quitte à aiguiller la volonté de résorption des inégalités de capital vers une garantie de revenu plus élevé que les seuls 565 € par mois envisagés. C’est aussi par la régularité de ce revenu qu’il sera plus facile aux jeunes majeurs de se projeter dans l’avenir, de mieux vivre leur quotidien en somme, de lutter contre “l’insécurité sociale”.

Le financement

Les transmissions de patrimoines étant vectrices d’inégalités, cibler cette source de financement peut apparaître comme justifiée.

En revanche, l’introduction de ce mode de financement dans ce texte peut nuire politiquement à la lisibilité de ce projet, risquant de déporter le sujet vers un débat sur la question de l’héritage.

Nous recommandons que dans le cadre d’un éventuel projet de loi déposé par un exécutif souhaitant mettre en œuvre un renforcement des minima sociaux, celui-ci ne soit pas aussi étroitement lié à une telle réforme des droits de succession.

Vers un front commun pour assurer une garantie de revenu dès la majorité ? 

Autour d’une éventuelle réforme des minima sociaux persiste une confusion du fait des différentes propositions et effets d’annonce de part et d’autre de l’échiquier politique. Bien que les acteurs y aillent chacun de leur appellation en vue d’une réforme ambitieuse des minima sociaux, il semble se dégager à gauche une volonté d’avancer sur ces questions, et ce, en premier lieu pour en finir avec la discrimination d’accès aux minima sociaux sur la base de l’âge. En témoigne le présent texte, ainsi que la proposition de loi portant des droits nouveaux dès 18 ans, déposée au Sénat par le groupe socialiste et votée par les trois groupes de gauche.

Cet accord dans le vote illustre un besoin de faire front commun sur la question des minima sociaux, et pour cela de s’appuyer sur les besoins des publics cibles et des acteurs agissant auprès d’eux.

 

Références :