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Alors que la crise économique se traduit à présent en véritable crise sociale, Jean Castex a annoncé samedi dernier la ligne du gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté : aucune revalorisation de fond des minima sociaux, mais des aides ponctuelles. En bref, il faudra miser uniquement sur l’activité.

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La crise n’aura pas raison du capitalisme. Bien au contraire semble-t-il. Alors que les hospitalisations dues au COVID-19 sont de nouveau en nette augmentation en France, au point qu’un reconfinement soit à présent envisagé par les autorités, la pandémie s’est accompagnée d’une crise économique laissant place à une véritable crise sociale, qui ne pourrait en être qu’à ses débuts. Le nombre de demandes à l’aide alimentaire a explosé, les plans de licenciement s’accumulent et aux 9 millions de pauvres, dont 3 millions d’enfants, vont probablement s’ajouter un million de personnes supplémentaires d’ici à la fin de l’année 2020. 

Pourtant, aucun changement de cap n’est considéré par ce gouvernement. Et encore moins, quant à son approche des problématiques sociales.

Une politique « méritocratique » de l’aide sociale : aide toi, car l’Etat ne t’aidera pas

Depuis le début de la crise, le fléchage du soutien financier est réparti de façon très relative, graduelle et déséquilibrée. Ce soutien est concentré principalement vers les grandes entreprises, et ce, sans contrepartie. Cela n’a pourtant pas empêché nombre d’entre elles (à l’image d’Airbus ou Renault) de licencier des milliers de personnes tout en touchant l’aide gouvernementale supposée sauver les emplois. 

Un fonds exceptionnel a toutefois été créé pour soutenir les TPE-PME. Le chômage partiel a quant à lui permis de protéger les salarié·es. Les travailleurs·es indépendant·es ont aussi obtenu la création d’une aide exceptionnelle, très fortement conditionnée et difficilement accessible pour l’ensemble des professions, en particulier pour les plus précaires d’entre elles (travailleurs·es des plateformes numériques par exemple) en excluant ainsi un grand nombre. Enfin, et en bout de ligne de l’aide de l’Etat, figurent les intermittent·es de l’emploi d’abord, puis les exclu·es de l’emploi, qui n’ont pratiquement rien touché si ce n’est des primes ponctuelles et de faible ampleur.

Une priorisation dogmatique au détriment des plus exposé·es à la crise

Il va sans dire que cette gradation de l’aide est idéologique : l’urgence est à sauver les entreprises – y compris celles qui licencieront en masse – sans réelle prise en compte des personnes. Autrement dit : à sauver un système capitaliste à bout de souffle, ayant placé l’économie au-dessus des personnes, plutôt qu’à remettre en cause un paradigme économique,  principal responsable de la crise. 

«Rehausser les minima sociaux n’est donc pas impossible, c’est un choix de société »
Christophe Robert, Fondation Abbé Pierre

Le refus d’augmenter les impôts pour faire contribuer les plus hauts revenus en est l’illustration parfaite : face à l’injustice sociale, pas question de mettre en place des mesures de justice fiscale. Ainsi, d’après Christophe Robert, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre « La suppression de l’ISF et la « flat tax » ont fait perdre près de 5 milliards d’euros par an à l’État. Et le gouvernement est en train de faire voter au Parlement un plan de relance de 100 milliards d’euros. Rehausser les minima sociaux n’est donc pas impossible, c’est un choix de société ». Un choix politique en somme.

Les jeunes, grands laissés pour compte des politiques de soutien

Ce n’est pas nouveau, le spectre de l’assistanat hante nos politiques, mais plus encore aujourd’hui, il semble impensable d’assurer même un socle de survie et de débourser des sommes, aussi modestes soient-elles, pour des personnes qui “ne le mériteraient pas”. Selon cette vision productiviste, ces exclu·es du système de production ne contribuent pas directement et à court terme à la relance économique, et sont alors de fait, considéré·es comme des assisté·es. En premier lieu desquel·les figurent les jeunes de 18 à 25 ans, catégorie d’âge la plus frappée par la crise, dont le taux de pauvreté a atteint des records historiques en France et pour qui l’horizon de l’insertion dans la vie professionnelle risque d’être sérieusement repoussé.

D’après l’Observatoire de lutte contre les inégalités, la pauvreté juvénile ne cesse d’augmenter depuis plus de 20 ans : le nombre d’enfants de pauvres et de jeunes adultes modestes a augmenté de 760 000 depuis 2002, soit + 42 %. Le taux de pauvreté chez les jeunes adultes, âgés de 18 à 29 ans, a quant à lui augmenté de 50 %, passant de 8,2 % à 12,6 % entre 2002 et 2017.

De nombreuses associations de lutte contre la pauvreté et chercheur⋅es, qui font depuis des années le constat de cette augmentation de la pauvreté chez les jeunes, en appellent à l’accès de ces derniers au RSA. Cette mesure de bon sens – difficile d’expliquer cette exclusion tranche de la population du principal minimum social – largement soutenue a été d’emblée exclue par le gouvernement. Le Premier ministre a ainsi fermé la porte d’emblée à l’élargissement du RSA aux 18-25 ans, car cela inciterait selon lui à des pratiques « d’assistanat ». 

Malgré l’urgence et la crise, préserver l’ordre établi « quoi qu’il en coûte »

Le temps de l’urgence lié à la crise, par son caractère exceptionnel, comporte des réponses, elles aussi exceptionnelles. C’est ainsi qu’entre les lois de finances rectificatives et le plan de relance de 100 milliards, le gouvernement a déployé plus de 500 milliards d’euros pour sauver l’économie. Un montant important, pour lequel les grandes entreprises se sont taillé la part du lion, laissant à peine quelques miettes au secteur public et à l’action sociale.

Ce contexte inédit n’est pas sans révéler toutefois une politique plus large : la recherche de la croissance et la compétitivité avant tout. Agissant de la sorte, le gouvernement fait un choix idéologiquement très fort, celui de ne surtout pas rompre avec cette logique capitaliste. Celui d’aider le plus largement et inconditionnellement les plus forts, tout en faisant reposer la survie de plus pauvres et plus exposés sur leur propre responsabilité. 

Le droit à la dignité une nouvelle fois nié

Dans ce contexte, il n’est pas difficile de comprendre, au vu des priorités données par ce gouvernement, que le “monde d’après” annoncé par le président de la République en ces termes « Nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les Jours Heureux » et auquel aspiraient bon nombre de citoyen·nes, des personnes et d’organisations de la société civile, n’est pas pour aujourd’hui. Dans cette politique gouvernementale, c’est le droit à un revenu qui est nié. Cela alors même que la pandémie entraîne avec elle un marasme économique, qui fait actuellement basculer des centaines de milliers de personnes dans le chômage et la pauvreté. C’est ainsi le droit à une existence sociale et à la dignité qui est niée à ces millions de personnes.

À la question : “Pouvons-nous véritablement laisser des personnes vivre dans la misère, l’exclusion et la précarité ?” le gouvernement répond sans sourciller : “Oui.”